Face aux violences urbaines et au trafic de drogues, la Région bruxelloise précise sa méthode à l’échelle locale avec la création de 15 zones de déploiement prioritaires, dites “hotspots”. Outre une visibilité policière accrue, la politique des hotspots prévoit des règles spécifiques à l’échelle de ces quartiers. Derrière le motif sécuritaire, le volet répressif de la stratégie régionale de lutte contre le narcotrafic foule aux pieds les recommandations du secteur associatif et pèse de manière disproportionnée sur les populations les plus vulnérables.

Une carte blanche signée par Christopher Collin (DUNE), Edgar Szoc (Ligue des Droits humains), Stéphane Leclercq (Féda bxl), Birger Blancke (Fédération BICO) et 24 autres acteurs issus de l’associatif bruxellois (voir la liste exhaustive ci-dessous)

Les mesures prises dans les 15 hotspots comprennent la perception immédiate d’amendes pour possession ou consommation de drogues, l’autorisation de contrôles d’identité systématiques ainsi que “la saisie d’objets qui facilitent la consommation de drogues”. Si l’impact d’une recette éculée sur le deal de rue et la criminalité organisée laisse planer le doute, certaines de ses répercussions inquiètent. Sur le plan de la prévention, de l’accompagnement et de la protection des personnes les plus vulnérables, les effets de la politique des hotspots sont désastreux.

À Bruxelles, là où les défaillances graves de la politique d’accueil ainsi que la saturation des structures d’aide exacerbent le sans-abrisme, la multiplication des scènes ouvertes de consommation est la conséquence de la dégradation des conditions de vie des publics les plus précarisés. Pour les personnes, de plus en plus nombreuses, qui sont abandonnées à la rue, livrées à l’isolement social et à la détresse psychique, rappelons que la consommation dérégulée d’alcool et de drogues relève de l’auto-médication.

Les amendes qui ciblent la consommation ne découragent pas les conduites addictives. Au contraire, une politique qui sanctionne les actes de consommation augmente considérablement les risques psycho-médico-sociaux qui entourent ces pratiques. L’arrêté mentionne par ailleurs la possibilité de saisir tout matériel supposé “faciliter” l’usage de drogues. Alors que la distribution de matériel stérile de consommation comme outil de santé publique a largement fait ses preuves, cette mesure pose une entrave directe à la prévention des maladies infectieuses.

u point de vue de la cohésion sociale, l’autorisation de contrôles d’identité systématiques est contreproductive. Le caractère systématique de la mesure est la porte ouverte aux pratiques discriminatoires et à l’abus de pouvoir à l’encontre des personnes les plus exposées à la violence et à la stigmatisation (jeunes déscolarisés, personnes sans-papiers ou sans titre de séjour, publics en errance, travailleurseuses du sexe).

Paupérisation et précarisation psychique, hausse générale des consommations, accessibilité et ubérisation du marché des drogues… Bruxelles est confrontée à une crise multifactorielle, que des politiques cosmétiques ne suffiront bientôt plus à panser.

Qu’elle soit démagogique ou sincère, la politique des hotspots se trompe de cible et manque son objectif. Plutôt que d’apaiser l’espace public et faire fléchir l’inquiétude légitime exprimée par une partie de la population, la prétendue stratégie au nom de laquelle le droit commun est suspendu contribue à aggraver le sort des plus précaires.

La vie de quartier réclame une politique juste et crédible. Si nous pouvons louer l’effort de coordination annoncé afin d’éviter le transfert de la criminalité d’un quartier à l’autre, les pouvoirs publics doivent cependant se saisir des acquis d’un demi-siècle d’investissement dans les pratiques de réduction de risques liés aux assuétudes. Pour affaiblir durablement le narcotrafic et ses nuisances, la priorité doit enfin être donnée à la santé publique et à des réponses concertées avec le secteur professionnel.

Liste exhaustive de signataires :

Christopher Collin (DUNE), Edgar Szoc (Ligue des Droits humains), Stéphane Leclercq (Féda bxl), Birger Blancke (Fédération BICO), Christine Vanhessen (AMA – Fédération des maisons d’accueil et services d’aide aux sans-abri), Yahyâ H.Samii (La Ligue Bruxelloise pour la Santé Mentale), Guilhem Lautrec (Alias), Vincent Clapuyt (La MASS), Catherine Van Huyck (Modus Vivendi), Benjamin Brooke (DoucheFLUX), François Poncin (Réseau Hépatite C), Muriel Allart (Smes), Guilhem de Crombrugghe (Prospective Jeunesse), Ariane Dierickx (L’Ilot), Liaison A (Liaison Antiprohibitionniste, Carla Nagels (chargée de cours en criminologie, ULB), Sylvie Cassiers (Résad), Christophe Henrion (L’ambulatoire-Forest), Florence Cordi (La Trace), Claude Bottamedi (ancien chef de corps zone de police), Pierre Van Heddegem (Médecins du Monde Belgique), Mehdi Kassou (BelRefugees), Véronic Thirionet (I.Care), Lucia Casero (Eurotox), Rocco Vitali (Infor-Drogues et Addictions), Daan Bauwens (UTSOPI), Lou Richelle (DMG-ULB), Emilie Scheen (Macadam)