Belgique

Le coronavirus et puis la guerre en Ukraine : comment faire face psychologiquement ?

Le moral en berne, c’est une réalité pour une partie de la population.

© 2021 Wayne E Wilson

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Par Sylvia Falcinelli avec Céline Biourge

Coronavirus, guerre aux portes de l’Union européenne, et on peut ajouter crise climatique (même si l'inquiétant dernier rapport du GIEC est passé au second plan ces derniers jours). De quoi mettre le moral en berne. L’incertitude énorme sur la suite des événements en Ukraine n’arrange rien. Mais à chacun sa façon d’encaisser. Autour de nous, certains se sentent terrifiés, d’autres restent confiants et entre les deux, on trouve toute une gamme entre angoisse, inquiétude, lassitude et volonté de rester optimiste ou stoïque.

"La santé mentale se vit de façon très diversifiée, on n’est pas tous égaux", entame Yahyâ Samii, directeur de la Ligue bruxelloise de Santé mentale. La crise du Covid a davantage touché certaines personnes entraînant des problèmes d’insomnies, un sentiment d’isolement qui a parfois accentué des problèmes préexistants, jusqu’à parfois provoquer un basculement nécessitant de l’aide psychologique. Le conflit en Ukraine peut générer de l’anxiété supplémentaire mais pas de la même façon chez tout le monde. "Il y a des gens dans une situation de santé mentale très difficile depuis pas mal de temps avec des difficultés socio-économiques – qui ont donc des préoccupations plus immédiates, et pour d’autres, la crise sur le plan international vient ajouter une couche dans un environnement qui était déjà très insécure. Ça amène pas mal de gens à se poser des questions sur l’avenir qui est réservé à notre collectivité et à chaque individu en son sein".

Pour Laurent Belhomme, psychologue et psychothérapeute, le constat est similaire : "Les derniers événements génèrent une anxiété légitime. Par ailleurs, je pense que ces événements ont un impact sur le moral des personnes dans le sens où ils surviennent après une longue période de crise qui, si elle nous a épuisés, a aussi remis en question beaucoup de choses dans nos habitudes et a impacté notre vision du fonctionnement de notre société."

Bref indépendamment des profils individuels, nous sommes sans doute collectivement fragilisés, et parmi nous, les jeunes en particulier, comme cela a déjà été régulièrement souligné. "Et faut rappeler qu’un certain nombre de jeunes faisaient des marches pour le climat avant la crise du covid et que les questions restent entières", ajoute Yahyâ Samii.

Revoir ce sujet JT du 27/02/2021 à propos de la demande d’aide psychologique pour les jeunes dans les hôpitaux :

Les hôpitaux psychiatriques débordés par la demande de jeunes déprimés par le confinement

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Ce n’est pas la première fois que l’humanité est confrontée à une situation de crise, mais pour Yahyâ Samii, la différence ici par rapport au passé, "c’est qu’on est très conscient de ce qui se passe".

Etre conscient, c’est à la fois lourd à porter : c’est accepter le fardeau que ça fait peser sur nos émotions, notre réflexion, notre sentiment d’impuissance et en même temps, c’est une force parce que si nous savons quels dangers sont devant nous, nous pouvons essayer de trouver des réponses.

 

Comment rebondir ?

Premier conseil pour Yahyâ Samii : "parler, ne pas rester seul". Et ensuite : "mieux réguler l’exposition à toutes ces informations". Avec les réseaux sociaux, les smartphones, si l’on n’y prend garde, on peut être plongé dans les mauvaises nouvelles du matin au soir. "Ça peut nous mettre dans un état de sidération, d’apathie. On est tout le temps dans l’émotion, la peur, la crainte, l’angoisse. Pour contrer cela, il faut parfois prendre un peu de recul pour prendre le temps d’échanger avec son entourage, sa famille, ses amis. Prendre le temps de marcher et de discuter ensemble, que ce soit sur ces choses-là ou des choses plus intimes de la vie de tous les jours. C’est dans ces échanges-là aussi qu’on arrive à trouver des solutions auxquelles on n’avait pas forcément pensé".

Pour le psychologue Dimitri Haikin, qui gère le site "psy.be", même conseil de base : ne pas regarder les infos de façon continue et "s’éloigner des turbulences", autrement dit : "s’extirper du mal-être global qu’on ressent et aller chercher des vitamines mentales à travers la nature qui est un thérapeute hors pair, renouer des contacts sociaux, rire, sortir, manger, partager de bonnes soirées, des choses qui ont beaucoup manqué et qui aident aussi à remonter la pente".

Laurent Belhomme rappelle l’intérêt de conseils basiques de bien-être tels que le fait de manger équilibré et de se reposer mais surtout, il insiste sur l’importance de "s’autoriser à être à l’écoute de soi, de ce qui fait sens pour soi, s’autoriser à essayer d’agir d’une manière dont on a l’impression qu’elle fait sens en vivant des valeurs qui peuvent nous porter." Par exemple, pour certaines personnes, aider concrètement les réfugiés ukrainiens peut être une façon de se mettre en action positivement par rapport au sentiment de tristesse et d’impuissance face à leur situation.

Revoir ce sujet du JT du 02/03/2022 à propos de l’aide organisée via les communes :

L’anxiété en soi n’est pas forcément négative, tient à souligner le psychologue :

C’est un peu comme la peur qui a une fonction : celle de nous faire réagir. On peut aussi se dire que cette anxiété va peut-être nous aider à faire bouger certaines choses. Il ne faut pas viser à l’étouffer immédiatement, il faut s’en saisir comme d’une force, qui nous permet d’aller dans des directions où on avait plus difficile à aller, où on avait moins de détermination à aller auparavant. Notre équilibre est perturbé pour le pire mais aussi pour le meilleur.

Quelle réponse collective ?

Pour Yahyâ Samii, au-delà des réponses individuelles, il faut réfléchir au type de réponses collectives à apporter face à ces enjeux eux-mêmes collectifs. "On ne peut pas s’empêcher de se dire qu’avec le réchauffement climatique, une série de difficultés vont s’accentuer. Alors quelles réponses peut-on trouver qui soient les plus inclusives possibles ? Il y a certains individus qui n’auront aucun souci à trouver des solutions en ce qui les concerne eux, mais on voit bien qu’on ne peut plus se satisfaire de solutions où chacun s’en sort de son côté", estime-t-il.

Il faut soutenir les initiatives qui vont vers une collectivisation, qui passent par une mise en commun et donc un renforcement de la solidarité. Et ça passe aussi par la question des inégalités qui se sont creusées avec la crise du Covid.

Et de s’interroger : "Comment corriger ça pour pouvoir rétablir un équilibre, que le fardeau soit réparti de façon plus équilibrée entre toutes les composantes de la société ? Combien de temps on va tenir avec des mesures qui cherchent à corriger le tir sachant que le nombre de personnes auprès de qui il faut apporter un soutien ne cesse de grandir ?"

En écho à ces questions, pour Laurent Belhomme, il y a aujourd’hui peut-être une occasion à saisir pour "œuvrer ensemble dans une direction commune, de faire groupe, de faire société". Bref pour retrouver du sens, collectivement.

Malgré la succession et la juxtaposition des crises, face aux émotions négatives générées par le conflit en Ukraine, "il y a également pour le moment un sentiment de solidarité extrêmement développé", développe-t-il. "Il y a un besoin et une envie de pouvoir se positionner pour pouvoir faire quelque chose, puisqu’au niveau des valeurs, la plupart des gens sont d’accord qu’il faut que cette violence cesse. On sent là quelque chose qui nous fait du bien, même si c’est un paradoxe : pouvoir œuvrer tous ensemble dans la même direction."

Une mise en mouvement, une quête de sens dans l’action, qui pourrait selon lui particulièrement résonner auprès de la jeunesse, "en contact avec ce besoin et cette nécessité", qui a déjà commencé à emprunter ce chemin face à d’autres défis, comme celui du climat.

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