Depuis la loi coordonnée de 2015 sur l’exercice des professions de santé, la pratique du psychologue clinicien est considérée désormais comme une profession de santé sous la tutelle d’un nouveau Ministre de la Santé Publique et non plus uniquement sous la tutelle du Ministre des Classes Moyennes qui reste encore en charge de la Commission des Psychologues.

Ce changement législatif oblige le psychologue clinicien à se positionner dans le champ de la santé. La santé physique et la santé mentale n’utilisent pourtant pas le même paradigme et se complètent cependant. Certaines caractéristiques de ce travail en santé mentale compliquent l’application de la loi en ce qui concerne les critères de la qualité de cette pratique de soin et notamment l’utilisation possible d’un dossier patient électronique.

La relation de confiance entre le psychologue et le patient est une condition indispensable pour qu’un travail puisse se faire et les confidences ne peuvent pas faire l’objet d’une communication vers d’autres acteurs. Ces confidences relèvent non seulement de la vie privée mais aussi surtout de l’éthique du cadre des professions de santé et de la déontologie du psychologue.

Le respect de la relation de confiance dans les soins en général, vise non seulement la protection des personnes mais aussi la confiance dans la profession car le secret professionnel est une règle de droit public. Respecter la parole du patient est nécessaire à l’intégrité psychique de la personne lorsqu’elle se confie et partage son intimité. Partager une confidence serait alors porter atteinte à cette intégrité psychique i car cela peut être ressenti comme une trahison.

Le juriste Pierre Lambert iiécrit « Quand le médecin trahit le secret qui lui a été confié, c’est le public tout entier qui risque de souffrir de ce manque de foi, car dans la crainte d’indiscrétion, il pourra hésiter à recourir au médecin et c’est la santé publique qui s’en trouverait compromise ». Ceci peut être pensé également pour le travail du psychologue qu’il travaille dans une institution de soins ou en privé avec des prescriptions médicales. L’arrêt 44/2019 de la Cour Constitutionnelle du 14/03/19 vient confirmer ce lien de confiance aussi entre un assistant social et le détenteur du secret.

Et le psychologue de première ligne ?

Le système de la prescription médicale pour le remboursement des consultations psychologiques ne suppose pas automatiquement que la personne devienne un patient, ni qu’il fasse l’objet d’un rapport médical, ni que le psychologue intervienne d’office dans le dossier médical électronique. Cette partie du projet de l’ex-Ministre Maggie De Block reste préoccupant.

Il suffit que le médecin sache que le patient est venu voir le psychologue et cela peut se passer lors d’une consultation. La prescription de 4 séances remboursées peut déboucher sur une nouvelle prescription demandée par le patient ou le psychologue au médecin avec un maximum de 8 séances par année civile. Au bout des 8 séances, le psychologue clinicien peut orienter si nécessaire vers un spécialiste ou quelqu’un d’autre ou encore poursuivre s’il est formé en psychothérapie par des séances remboursées par la mutuelle du patient. Ces deux systèmes de remboursement ne peuvent pas être utilisés simultanément mais rien n’empêche qu’ils se succèdent pour assurer une continuité des soins.

Le domaine de compétence de l’intervention d’un Psychologue de Première Ligne PPL- en néerlandais ELP Eerste Lijn Psycholoog- est bien la santé mentale puisqu’il est reconnu, en tant que 2 psychologue clinicien, comme un acteur des interventions coordonnées en réseau régional dit réseau 107 par le SPF Santé Fédéral. Son intervention est accessible aux patients en ordre de mutuelle avec un NISS et le code INAMI du médecin prescripteur grâce à un tarif réduit à 11,20 ou à 4 euros, pour ceux qui bénéficient d’une intervention majorée. Le psychologue perçoit la différence pour arriver à 45 euros et 60 pour la première séance, via l’enveloppe budgétaire confiée pour Bruxelles à l’hôpital Titeca qui a accepté ce service en son sein.

De plus, le cadre de ce projet est prévu pour 3 ans et doit faire l’objet d’une évaluation depuis son démarrage début 2019 jusqu’à fin 2021. Il est également prévu que des informations soient partagées entre le psychologue et le médecin prescripteur.

Comment partager ces données dans le respect de la déontologie du psychologue, celle du médecin ainsi que la loi sur le droit des patients ?

Le code de déontologie du psychologue prévoit que le partage d’un secret professionnel SPP n’est possible qu’en respectant les 5 règles cumulatives (voir article 14 du code de déontologie du psychologue) qui consistent à : 1/ Informer préalablement le patient de l’intérêt qu’il peut avoir ou non dans un partage de données. 2/ Obtenir l’accord du patient, son accord explicite est toujours mieux qu’un accord implicite. 3/ Ce partage ne peut se faire que dans son intérêt uniquement, celui de la prise en charge de sa santé physique, mentale ou sociale. 4/ Que le partage des données soit limité à ce qui est strictement indispensable, et en excluant les confidences. 5/ Le partage ne peut se faire qu’entre des personnes soumises au secret professionnel qui travaillent dans le cadre d’une même mission, ici en l’occurrence thérapeutique.

Qu’en est-il pour les autres professions en lien avec un réseau ? La commission Psychiatrie et droits humains (2016 voir ci-dessous n°5) de la ligue du même nom a établi des balises eu égard aux différentes déontologies en présence (celles des médecins et assistants sociaux). Elles sont au nombre de 4 :

1) Obtenir l’accord de la personne concernée, ce qui semble plus facile au sein d’une même institution pour autant que la prudence et le respect aient inspiré la confiance de la personne dans l’institution consultée. Un contact ou un partage de données avec des soignants extérieurs doit être demandé explicitement dans le cadre d’une alliance thérapeutique. Par exemple un document qui prévoit qui contacter en cas de crise et où la signature du patient permet qu’il puisse contrôler la circulation d’informations (PSI voir point 6).

2) Ce partage ne peut se faire que si les trois professions en présence (médecins, assistant social et psychologue) sont tenues au secret professionnel dans leur propre déontologie.

3)Que ces professionnels interviennent dans le cadre d’une même mission thérapeutique et pour une meilleure prise en charge coordonnée pour chacun des patients.

4) Ne partager que les informations nécessaires au travail en équipe ou en réseau dans l’intérêt de la personne concernée. Dans un travail multidisciplinaire, ces 4 conditions cumulatives doivent être remplies. 3 La pratique montre qu’un partage de données n’est pas nécessaire pour chaque patient, il peut être utile et nécessaire à la demande de la personne lorsqu’elle est confrontée, par exemple, à un médecin-conseil de mutuelle ou du travail, à une crise nécessitant une hospitalisation. La situation de nécessité est prévue par la loi quand l’intégrité ou la sécurité du patient est en jeu, ou face à des tiers (maltraitance) pour des raisons de sécurité (violence) ou de santé publique (maladie). Lors de ces partages de données, le psychologue peut estimer qu’il ne peut le faire que dans certains cas, en dehors de toute confidence : résultat de tests, suspicion de maladie, nécessité d’une prescription ou d’un changement de traitement, ou toute donnée qu’un patient ne souhaite pas discuter avec un autre professionnel mais qu’il demande de communiquer via un écrit mais discuté préalablement en consultation.

Comment travailler utilement dans un réseau de soins ?

Le fait de dire que l’assentiment éclairé du patient suffit à lever le secret a déjà fait l’objet de plusieurs avis dont l’ouvrage de Roland Gori . Le patient est-il en situation de donner son avis libre et éclairé lorsqu’il a besoin d’une prescription de séance ou d’une admission en institution ?

Que ce soit en ambulatoire ou à l’hôpital, le patient a-t-il connaissance de ses droits mais surtout peut-il faire confiance dans la parole d’un professionnel qui ne se sentirait pas libre, de faire une promesse et donc de pouvoir la tenir dans ce contexte, rassurant ainsi son patient ? Un secret professionnel est une obligation de ne pas révéler plutôt qu’un droit de se taire. Il sert à protéger l’usager et le cadre de la mission d’accompagnement ou de soins, non le professionnel. Le soignant doit tenir compte de la loi et des circonstances exceptionnelles qui peuvent le libérer du secret concernant le patient même si ce dernier est d’accord car il n’est pas l’unique maître du secret, celui-ci peut concerner des tiers. Il est donc possible d’optimiser un partage d’information dans l’intérêt de la continuité des soins d’un patient mais cela ne peut se faire qu’en respectant certaines conditions et sous la responsabilité professionnelle du psychologue et/ou du médecin soumis lui-aussi à l’article 458 du code pénal (qui prévoit une sanction pour ceux qui l’enfreignent). Dans le cadre d’une consultation ou d’un traitement avec une famille, le patient se confie devant ses proches et ceux-ci ainsi que le professionnel lui assurent la confidentialité devant d’éventuels tiers Compte tenu de ces considérations, il est intéressant pour certains patients d’être suivis dans le cadre d’une coordination des soins, d’un réseau d’aide et d’accompagnement dans le but de développer des dispositifs qui soutiennent l’intégration sociale de ces patients isolés et en précarité.

Un dossier médical ou individuel partageable ?

L’exemple du dossier médical eHealth sur www.masante.belgique.be , me semble éclairant. Il serait utile pour chaque citoyen de consulter ce site afin de retrouver son propre dossier médical avec l’aide de sa carte d’identité, son code pin et un lecteur de carte en ligne. Chacun peut y vérifier si ses propres données médicales sont accessibles ou non, partagées ou non. Un onglet existe avec un accord libre et personnel à donner pour la transmission des données aux professionnels médicaux qui ont une relation thérapeutique avec le patient. Il serait important que des accompagnants en santé mentale aident chaque patient à y entrer et à choisir de donner ou non son consentement à un partage de données qui peuvent être sensibles. Il est clair que le professionnel de la santé mentale (psychiatre, psychologue, intervenant psycho-social) sera attentif à ne pas alimenter ce type de 4 dossier sauf pour des données médicales objectives et urgentes et avec le consentement éclairé du patient.

Il existe deux aspects au travail de réseau  :

A/ « les ressources du réseau » qui forment un maillage soit entre soignants et usagers, qui tient compte de l’entourage du patient (les familles peuvent être des partenaires de soins en santé mentale) soit entre différentes institutions confrontées à des problèmes communs. Les ressources englobent le 1er axe donc l’intégration des services au service des patients.

B/ « Les pratiques de réseau » il s’agit de la mobilisation coordonnée d’acteurs ou de services autour d’un patient particulier. On retrouve cette notion dans le 2e et 3e axes suivants :

Le premier axe : Une intégration des services Des institutions médico-sociales travaillent depuis plus d’une trentaine d’années dans une vision intégrée des soins de santé et cette expérience s’est montrée pertinente dans les domaines suivants : les assuétudes, la grande précarité et le handicap tant par une meilleure connaissance des compétences au sein des services que pour une meilleure collaboration au service des personnes en difficulté. La création de nouveaux lieux d’accueil à bas seuil (Club Norwest, Espace 51…à Bruxelles) ont permis une prise en charge coordonnée de personnes en souffrance psychique.

Deuxième axe : Un référent de proximité Cette fonction existe déjà de manière informelle pour garder un contact privilégié avec des personnes nécessitant des prises en charge multidisciplinaires et pour qui l’accompagnement et la coordination des soins permet d’éviter des ruptures et un vécu d’exclusion des soins. Cette fonction n’est pas seulement spécifique à un service ou à un métier, il s’agit d’exercer une mise en cohérence des intervenants qui soutiennent une personne. Ceci permet de mobiliser de nouvelles ressources qui peuvent s’avérer nécessaires et mobilisables grâce à cette vigilance ou fonction de signal.

Dans les situations complexes, le référent de proximité travaille parallèlement aux soignants et assure 5 qualités suivantes iv : - la proximité avec le patient – la centralité pour la cohérence des interventions – la flexibilité à tenir compte de chaque personne – la proactivité pour identifier ses besoins – la pérennité pour assurer une durée qui tient compte de l’évolution. Pour réaliser cet axe, il est nécessaire de tenir compte de l’important travail de réflexion réalisé par la Ligue des Droits de l’Hommev sur les balises du secret professionnel partagé.

Troisième axe : Une concertation clinique multidisciplinaire locale Il s’agit d’un processus participatif autour du projet d’un usager qu’il a construit avec son référent de proximité et qui redéfinit le rôle de chaque soignant ou intervenant grâce au PSI Plan de Service Individualisé , outil dans l’intégration des soins. L’ensemble des soignants et intervenants impliqués dans la prise en charge sont invités par un organisateur externe à ceux-ci et au référent de proximité afin de jouer un rôle de tiers externe pour assurer une continuité de soins après la crise ou prévenir une autre crise. Autre avantage : permettre la mobilisation d’une équipe mobile, garantir un suivi ou la réorientation des soins en concertation avec l’acteur principal de sa santé : l’usager.

Conclusions : Le secret professionnel n’est pas un obstacle à un travail de réseau.

Le SPP forme le ciment de ce type de travail de plus en plus actuel et concerne des situations ou des maladies complexes et chroniques. Si chacun respecte ses engagements envers le patient dont il a la charge, qu’il le consulte régulièrement et reste à l’écoute de ses besoins, de son évolution, de son 5 besoin d’intimité et d’autonomie, la concertation clinique multidisciplinaire, le référent de proximité constituent un outil précieux pour une meilleure qualité des soins dans une pratique de réseaux intégrés.

 

Martine Vermeylen

(traduction en néerlandais Hilde Descamps) 1 Genviève Monnoye « Le psychisme serait-il un organe ? Les réformes de la santé mentale et leurs incidences sur la confidentialité » sur site de la FPEA juin 2019 2 Pierre Lambert (1990) « Le secret professionnel » in revue de droit pénal, Bruxelles, éd. Némésis 3 Roland Gori (2005) « Le consentement, droit nouveau ou imposture ? » sous la direction de Caverni J.P., éd. Champs libres. 4 Extrait de « Les missions des antennes du réseau santé mentale Bruxellois » dont fait partie le réseau Norwest – septembre 2020. 5 Commission Psychiatrie et Droits Humains (février 2016) « Santé Mentale, Secret Professionnel et Pratiques de réseau » édité par l’asbl Ligue des Droits de l’Homme. 6 Le Plan de Service Individualisé PSI a été élaboré par un groupe de travail composé de professionnels, d’usagers et de proches dans le cadre du projet de réseau régional bruxellois psy 107. 7 Psychologue clinicienne de 1 ère ligne et psychothérapeute systémique et analytique de couple et de famille, intervenante à Similes-Bruxelles, formatrice dans le champ psycho-social, administratrice à UPPSY BUPSY, garante fonction 1 au réseau Norwest.