Babel souhaite relayer l’initiative de Ysaline Vranckx, qui a voulu dénoncer la complication de l’accès aux droits sociaux pour les personnes les plus précaires.

La crise du COVID, ce n’est pas une révélation, agit en accélérateur des dynamiques déjà à l’œuvre : digitalisation grandissante des démarches sociales, organisation managériale des institutions sociales qui mettent l’autre à distance faisant fi de la dimension humaine de l’aide sociale, etc. Cela donne à voir comment notre société répond (ou ne répond pas) aux difficultés des publics les plus précaires. Un constat qui n’est pas neuf, mais qui, à notre sens, prend encore un coup d’accélérateur pendant la crise COVID

La situation des services sociaux devient de plus en plus critique. La pandémie n’a fait qu’augmenter la précarité et particulièrement le phénomène du non-recours aux droits sociaux, les personnes qui ne reçoivent pas l’aide sociale à laquelle ils ont droit. La perte de contact humain dans les services sociaux a encore accentué ce phénomène. Ysaline Vranckx, assistante sociale à Babel de l’ASBL L’Equipe, un service de consultation pluridisciplinaire qui accueille des personnes présentant des difficultés psychiques, était l’invitée de Matin Première. Elle décrit la situation comme "désastreuse et révoltante".

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Le virus accentue les difficultés

Les démarches pour l’obtention des droits sociaux fondamentaux pour les personnes extrêmement précarisées étaient déjà compliquées avant la pandémie, elles se sont désormais transformées en réel parcours du combattant. Ysaline Vranckx dénonce le côté toujours plus conditionné et arbitraire des démarches à réaliser. L’automatisation et la digitalisation des procédures les rendent encore plus compliquées, surtout quand l’on sait que ce public subit en plus de plein fouet la fracture numérique.

"On y est confronté au plus proche avec nos patients. Pour vous donner un exemple, j’accompagne un patient qui a des revenus du chômage suite à la pandémie. Il a perdu son travail, ses revenus du chômage à un moment donné, sont diminué de moitié. On ne sait pas pourquoi. C’est un monsieur, comme tout un chacun, qui a un loyer à payer, doit se nourrir, a toute une série de dépenses à honorer. En fait, ce qu’il se passe, c’est qu’il vient consulter en entretien en disant :’Voilà Ysaline, mon revenu a diminué de moitié. Je ne sais pas pourquoi’. Et donc là, étant donné l’urgence de la situation et l’urgence de ses besoins primaires et fondamentaux à devoir assouvir, on se dit bien, on va contacter par téléphone pour avoir accès à l’information directement. On est dans l’urgence. On doit pouvoir trouver la solution là aujourd’hui et on tombe sur un répondeur automatique qui nous dit ’vous êtes la 88e personne sur la liste d’attente. Votre temps d’attente est estimé à 1h20 […]’ Ce patient, on l’a perdu de vue. Il a complètement décroché.

Parce qu’il y a un tel décalage entre les besoins de nos patients primaires fondamentaux urgents et les réponses tout à fait inadéquates et en total décalage avec leur réalité des institutions sociales et administratives

Ysaline Vranckx dénonce un sentiment d’impuissance et une sidération totale. Pour elle, la procédure électronique est très floue et très confrontante pour les personnes qui y font appel.

Le décalage entre les promesses et la réalité

"Lorsqu’une demande est portée par nos services, qu’elle est portée au bon endroit, à la bonne personne, au bon service, et bien il arrive qu’on ne reçoive pas de réponse. On doit travailler avec cette nouvelle réalité qui est extrêmement angoissante tant pour les patients que pour nous. C’est qu’on ne reçoit plus toujours de réponse et donc ça, c’est vraiment très, très compliqué."

Pour Ysaline Vranckx, bien que des aides existent, elles n’arrivent pas auprès du public concerné car elles sont inaccessibles et complètement en dehors des réalités du terrain. La répétition des refus, les questions qui restent sans réponses démotivent aussi les personnes qui en ont besoin.

"Théoriquement et légalement, il y a un véritable décalage, on a mis en place des budgets au sein des CPAS pour la fracture numérique et la pratique dans le quotidien de la pratique sociale. Mais en fait, je n’ai que très peu fait appel à ces aides avec mes patients parce que c’est hypercompliqué d’avoir accès à l’info concrète, d’avoir quelqu’un au bout du fil et d’avoir la personne finalement qui est compétente et qui pourra répondre à notre demande. Et donc en fait, très concrètement, j’ai aussi un patient, par exemple, où je dis ’mais en fait, là, on a droit à ces aides et go, on y va’. Et ce patient m’a dit ’non, je ne le sens pas. Trop compliqué, trop confrontant’. Parce qu’encore une fois, ça va être violent et on va se confronter à des impossibles."

Crise de confiance à tous les étages

Ysaline Vranckx dresse un constat alarmant sur la confiance de manière générale entre les institutions et les travailleurs sociaux. Si déjà le public concerné par les aides rencontrait des difficultés à les demander, c’est désormais ceux qui sont censés les aider à y accéder qui perdent la foi.

"Avant, nos patients, qui ont des difficultés psychiques, qui représente public assez marginalisé, en grande souffrance psychique, avaient déjà peu confiance dans toutes ces institutions qui sont déshumanisantes de base par leur fonctionnement. Mais maintenant, c’est nous, en tant que travailleurs sociaux, qui perdront confiance dans le système d’aide et d’accompagnement. Et ça, c’est assez terrible parce qu’il y a tout travail d’accompagnement thérapeutique avec nos patients ou même nous, on perd confiance parfois en le système d’aide."

Selon elle, il est urgent de remettre des moyens humains au sein de ces institutions administratives et sociales afin que les solutions qui existent déjà puissent tout simplement bénéficier à ceux qui en ont besoin surtout dans le contexte de la pandémie.

Source : Garance Fitch Boribon RTBF